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19 MARS 2000

Abdou Diouf, président raconte la première alternance

« Cette nuit-là, vers 23 heures, mon ami Babacar Touré, président du groupe de presse Sud Communication, m’a appelé. Je lui ai annoncé que j’avais perdu. Il m’a dit: « Monsieur le Président, voulez-vous faire une déclaration? » Je lui ai répondu: « Je ne veux pas faire de déclaration orale, je veux faire une déclaration écrite, parce qu’à partir du moment où quelqu’un d’autre a gagné, je ne veux plus qu’on entende ma voix. Je suis maintenant dans l’ombre, c’est lui qui doit être en pleine lumière. Mais demain matin, à la première heure, j’enverrai une déclaration écrite. » Babacar Touré en a d’ailleurs porté témoignage quand je suis devenu secrétaire général de la Francophonie, lorsqu’il m’a invité à la conférence de la rédaction du journal Sud Quotidien.

Le lendemain, je me suis réveillé très tôt et je suis allé à mon bureau pour appeler Wade, le féliciter. Je tenais à le faire avant de publier ma déclaration. Je n’ai pu l’avoir au téléphone du premier coup. J’ai donc reçu mes collaborateurs : Bruno Diatta, ambassadeur et chef du protocole, Ousmane Tanor Dieng, Cheikh Tidiane Dièye, conseiller spécial en communication. J’ai ensuite demandé à mon secrétaire d’appeler à nouveau Wade en insistant : « Tu rappelles et tu insistes, il faut absolument que je lui parle, et tout de suite.» Il est tombé sur Pape Samba Mboup, qui est parti chercher Wade. Je l’ai félicité chaleureusement en lui souhaitant plein succès pour lui, pour le pays. J’ai ajouté que j’étais à son entière disposition pour une rencontre en vue de la prestation de serment et de la passation de service. C’est à ce moment que j’ai envoyé ma déclaration, qui était prête depuis le matin à la première heure.

Après avoir reconnu la victoire de Wade, il fallait sans tarder organiser le déménagement du Palais de la République. Quand on a habité un lieu pendant vingt ans, on accumule beaucoup de choses. Ma femme commençait à faire les bagages, et moi je mettais de l’ordre dans mon bureau pour préparer les dossiers à transmettre à mon successeur. Le lendemain, j’ai reçu un coup de téléphone de ma mère, qui m’a dit : « Abdoulaye Wade vient de me rendre visite. Je voulais t’en rendre compte, il a dit de bonnes paroles ; moi aussi, j’ai dit de bonnes paroles. »

Après cela, Abdoulaye Wade a demandé à me voir, je l’ai reçu, je l’ai félicité à nouveau, et nous avons échangé des propos pleins de cordialité. À la fin, je lui ai dit : « Mais quand est-ce que tu veux prêter serment ? Je suis en train de me préparer, mon mandat se termine le 3 avril, mais choisis la date que tu veux. » Il m’a dit : « Ah oui, oui, je pensais au 31 mars. » J’ai appelé Bruno Diatta, qui a souligné qu’il fallait « préparer l’Assemblée nationale », car c’est là qu’on avait l’habitude de faire la prestation de serment. Puis j’ai dit à Wade : « Je suis à ta disposition. Dans mon agenda, c’est toi qui as la priorité. » Après quoi il m’a téléphoné pour me dire que, finalement, il avait choisi la date du 1er avril mais qu’il voulait prêter serment non pas le matin comme nous l’avions toujours fait avec le président Senghor, mais l’après-midi. Il a ajouté qu’il voulait que la cérémonie ait lieu non pas à l’Assemblée nationale, mais au stade, ce que j’ai accepté. Il a ajouté qu’il voudrait aussi qu’on invite quelques chefs d’État africains. J’ai dit : « Donne-moi la liste, je m’en occupe. » J’ai envoyé des lettres d’invitation à tout le monde et, mieux, j’ai accompagné cela de coups de téléphone, parce que je voulais être sûr que ces personnalités feraient bien le voyage, car ils pouvaient se dire : « Ils nous écrivent pour la forme. » J’ai téléphoné à chacun pour lui dire que je tenais à ce qu’il soit présent. Ensuite Bruno Diatta m’a dit : « Il y a un problème : le Conseil constitutionnel refuse le stade. La prestation de serment est une audience. On ne peut tenir une audience dans un stade. Pour le Conseil, la prestation de serment se fera soit à l’Assemblée nationale, soit au siège du Conseil. »

J’ai répondu : « Il ne faut pas que la fête soit gâchée. On vient d’organiser de belles élections, transparentes, loyales, justes, et le monde entier nous salue. Si maintenant la discorde survient pour une histoire de prestation de serment, ce sera du plus mauvais effet. » J’ai appelé Youssou Ndiaye, président du Conseil constitutionnel, et je lui ai dit : « Youssou, ce n’est pas le Président qui te parle, c’est le frère et l’ami. Je te supplie à genoux d’accepter ce que veut le président Wade. » Il m’a répondu:« Oui, monsieur le Président, mais il faut alors faire des travaux au stade. »

– Tu peux exiger tout ce que tu veux comme aménagement technique, ai-je dit, mais je te supplie à genoux d’accepter pour ne pas gâcher l’image du Sénégal, c’est tellement bien parti.

– Bon, j’accepte, mais il nous faut quelque chose qui nous isole un peu pour donner l’impression que nous sommes en audience. »

Je lui ai dit d’envoyer le devis et que nous allions faire le nécessaire. Quand Wade est venu me voir, le sommet Europe-Afrique devait se tenir au Caire. Il m’a dit alors : « Je ne pourrai pas aller à la réunion du Caire, je voudrais que tu ailles me représenter. » Je lui ai dit : « Abdoulaye, j’accepte avec plaisir, c’est un honneur. J’accepte avec enthousiasme, je te rendrai compte et je serai très discret. »

En Égypte, j’ai été reçu comme un chef d’État. Je me suis ensuite rendu au Maroc à l’invitation de Sa Majesté le roi Mohamed VI, invitation transmise par son frère le prince héritier Moulaye Rachid venu le représenter à la prestation de serment de mon successeur. J’avais auparavant fait la passation de service après la cérémonie de la prestation de serment. Ensuite, nous nous sommes retrouvés au Palais. Wade était là, avec sa femme et ses enfants, j’y étais moi-même avec ma femme et mes enfants. Nous avons reçu ceux qui étaient présents, et nous avons visité le Palais. J’ai présenté à Wade le personnel, le grand chancelier de l’Ordre national du Lion, et après cela j’ai pris congé. J’ai passé en revue la garde présidentielle, qui m’a présenté les honneurs, puis j’ai marché jusqu’à la sortie du Palais et me suis engouffré dans ma voiture, accompagné par le chef du protocole. À cet instant, il s’est passé quelque chose d’exceptionnel. Quand Wade était venu au Palais, le cortège avançait aux cris de : « Sopi, sopi, sopi, sopi », un slogan que j’entendais encore lorsqu’il était à l’intérieur. Mais, quand je suis sorti, les « Sopi » se sont subitement tus. Un de mes camarades d’enfance, un de mes grands frères de Saint-Louis qui était dans le PDS depuis le début, Baye Moussa Ba, dit Francky, a alors quitté la foule pour venir me saluer et, au moment où j’allais entrer dans ma voiture, spontanément tous ceux qui « criaient : « Sopi, Sopi » se sont mis à applaudir. Partout sur le chemin, ce n’étaient que des applaudissements. À l’aéroport, il y avait là tous mes camarades, étreints par l’émotion. Ils ont même dû soutenir Abdoulaye Diack, tant il pleurait toutes les larmes de son corps.

J’ai écouté l’hymne national pour la dernière fois en tant que président de la République. J’ai serré la main de tous ceux qui m’accompagnaient, les gendarmes, les motards, les policiers, les gardes du corps, tout le monde, parce que je me disais que c’était la dernière fois que je me déplaçais avec eux. J’étais ému, et je voulais leur témoigner ma sympathie. Arrivé au pied de la passerelle de l’avion, j’ai salué la foule et l’avion a décollé. »

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